Les missions du notaires
LE RÔLE DU NOTAIRE
« France, mère des arts, des armes et des lois. » Ce vers de Joachim du Bellay demeure d'une évidente actualité en un temps où notre pays compte près de 500 000 textes applicables, lois, règlements, arrêtés et circulaires. Édicter des normes suppose néanmoins leur application, laquelle dépend de la connaissance que chacun peut en avoir.
Cette application s'avère d'autant plus nécessaire qu'elle est non seulement la marque de la régulation d'une société, mais qu'elle assure l'égalité des citoyens. Nos sociétés occidentales, au cours des deux derniers siècles, ont incontestablement tendu vers le développement de la démocratie. Elles ont fait le choix d'un régime politique dans lequel un ensemble de règles et de principes conduit au peuple souverain, maître de sa destinée, et seul titulaire d'un pouvoir exercé collectivement. Dans ce cadre, qui repose très largement sur l'égalité des citoyens, la place du droit est devenue centrale. Cette égalité suppose que chacun puisse faire valoir ses droits, nul ne devant s'imposer par la force, par ses relations ou par sa richesse. Défendre son bon droit suppose dès lors un égal accès aux tribunaux. C'est la raison pour laquelle l'aide juridictionnelle est à ce point importante, pour que nul ne puisse souffrir en cette matière d'un défaut de moyens matériels.
Mais peut-être plus encore que le recours à la justice, l'égalité d'accès au droit nécessite aussi et principalement une connaissance de ses droits. La connaissance des droits est primordiale. Elle est en effet tout autant utile, voire davantage, que la défense des droits.
Or, en même temps que se développe l'exigence d'égalité, nos sociétés complexes multiplient les normes et créent des obligations multiples. Comment ces règles pourraient-elles s’appliquer si elles étaient ignorées? L'application quotidienne du droit en dehors, de tout contentieux et le respect consenti des droits d'autrui sont des piliers de nos démocraties.
À ce titre, le notaire, par sa participation à cette application libre et impartiale du droit, occupe une place privilégiée dans le fonctionnement de nos sociétés. Une législation n’est pas indicative. Elle est d'application obligatoire. Il en va naturellement ainsi de la loi pénale qui réprime les crimes et les délits, de la loi fiscale qui assujettit à l’impôt, mais aussi de la loi civile qui régit les rapports humains et protège le faible et la société.
Éclairer ses clients sur le droit applicable, sans prendre le parti de le détourner ou de le contourner pour mieux répondre à des intérêts particuliers, constitue une mission essentielle du notaire. La nature de son conseil va bien au-delà de la seule prise en considération des intérêts - légitimes - de son client. L’organisation du service public de la justice au sens le plus large, contentieuse ou gracieuse, est aussi prééminente. Cette vision non égocentrique du droit correspond au surplus très largement à la réalité quotidienne vécue et voulue par nos concitoyens.
La pratique apaisée du droit constitue le véritable besoin de droit. C'est pourquoi, il n’est nul besoin de multiplier les juristes-conseils, pour en faire intervenir autant qu’ il y a de parties autour de la table.
Un contrat de mariage, une donation ne sont pas des occasions de confrontation qui supposeraient la défense des intérêts de chacun. L’exemple peut encore être donné de la vente immobilière. Lorsqu'ils achètent un appartement, les Français ne souhaitent pas entrer dans des querelles sans fin pendant de longs délais, assorties de menaces de procédures, avant de parvenir à signer un acte. Ils ont naturellement certaines demandes qui leur sont propres, mais la bonne foi admet qu'en réponse il leur soit parfois soutenu que cette prétention ne peut pas aboutir. De même, l'application équitable et impartiale des textes en ce domaine conduit à une appréhension spécifique des réglementations.
Depuis une dizaine d'années, les diagnostics techniques ont été multipliés par des réglementations qui ne les rendent pas obligatoires, mais qui disposent qu'en leur absence le vendeur resterait tenu d'une garantie des vices cachés. Néanmoins, aucun notaire n'a jamais admis de pouvoir établir un acte authentique sans ces diagnostics techniques. Car en cas de maintien d'une garantie des vices cachés, il y aurait un fort risque de contentieux, alors que l'acte authentique a pour finalité essentielle d'éviter le procès.
Les notaires ne recherchent pas une application audacieuse, voire hasardeuse, d'un texte en tentant toutes les possibilités, y compris les plus extrêmes. Certains, qui le déplorent parfois, imputent alors à ces professionnels un manque de fantaisie. Pourtant, cette absence n'est pas leur signature, quand bien même quelques caricatures malveillantes la voudraient être de leur essence. Cette pondération est seulement la conséquence d'une vision tempérée du droit. « L'esprit vivifie, la lettre tue » rappelait saint Paul.
L'application dans un sens apaisé des réglementations conduit naturellement les notaires à participer à l'évolution des lois ou des règlements. Chaque année, ils reçoivent dans leurs études plus de vingt millions de clients, venus pour y traiter toutes sortes de dossiers et de difficultés. La richesse de ces contacts leur permet de mesurer les attentes de nos concitoyens. Ils sont en mesure de prendre la dimension, sans doute mieux que quiconque, d'une incompréhension ou d'un souhait d'évolution.
Jean-François HUMBERT
Président du Conseil supérieur du Notariat
dans "La Plume et le Sceau 2010"
Prat Editions 2010